samedi 2 juin 2012

Fez (XBLA, Steam) Polytron

"Fez", sorti sur Xbox Live Arcade en avril 2012, est un bijou vidéoludique passionnant à analyser, qui illustre à merveille l'étonnante évolution du jeu vidéo autour de 2010. Quand on étudie son parcours, ce qui frappe est qu'il semble arriver après la fête : annoncé en 2007 au début de la génération de consoles pour une sortie sur WiiWare, il est finalement sorti à sa toute fin, cinq ans plus tard, sur une plateforme concurrente et dans un contexte bien différent.

Lors de son annonce, "Fez" avait tout de l'OVNI : il suscitait enthousiasme, curiosité et excitation, un véritable saut vers l'inconnu aussi prometteur que la Wiimote ou les capacités des consoles HD. Déjà, il devait sortir sur Wii, alors très populaire et associée à l'innovation. Ensuite, il s'agit d'un jeu indépendant, ce qui était alors complètement nouveau et laissait augurer un renouvellement radical de thèmes, de ton, d'univers et de mécaniques ludiques. De plus, "Fez" a exhibé du pixel art un an et demi avant la sortie de "Megaman 9", imitant même le style de divers systèmes (Game Boy, Virtual Boy, vieux graphismes PC en CGA), participant au phénomène de la "vague rétro" qui mariait nostalgie, retour aux sources, nouveauté et transgression. Et enfin, le concept du jeu captait l'imagination, mi-traditionnel, mi-expérimental, reposant sur la projection d'un univers 3D dans une aire de jeu 2D.

Ce dernier point est un peu compliqué à expliquer mais, comme le reste, le temps que "Fez" sorte, il aura été largement exploité en quelques années au point de devenir presque banal...


Lors de son introduction, "Fez" expose son idée (en apparence) principale en parodiant les discours scientifico-métaphysiques que l'on retrouve par exemple au début de "La Machine à Explorer le Temps" de H.G. Wells, où le héros spécule avec des amis sur l'existence d'une quatrième dimension. Ici, le jeu révèle soudain à son héros ébahi, Gomez, que le monde qu'il croyait jusque-là en deux dimensions en compte en fait trois, les pixels composant son univers étant en réalité des cubes, comportant donc plusieurs facettes 2D distinctes.
À un instant donné, Gomez ne peut percevoir que deux dimensions et il s'y déplace à la façon d'un jeu de plateformes 16-bit très classique, mais un fez (le chapeau) paradimensionnel lui permet de "tourner" par crans de 90° le plan dans lequel il se place par rapport à la réalité tridimensionnelle. Dans chaque zone, Gomez a ainsi accès à quatre facettes bidimensionnelles distinctes, une par "côté" de la réalité tridimensionnelle, et tourner le plan de perception de Gomez rappelle irrésistiblement l'effet de rotation 8-bit de "Nebulus" sur Commodore 64.

Bien sûr, il ne s'agit pas ici de simplement alterner entre quatre angles de caméra : le "gag" est que pour chacun de ces angles, le plan 2D perçu est le plan 2D réel, c'est-à-dire que même si une plateforme n'est pas du tout à la même profondeur qu'une autre dans la réalité en 3D, elle l'est dans le plan du jeu en 2D, et Gomez peut donc sauter de l'une à l'autre "à l'ancienne" sans avoir à se poser de question ni tomber dans le vide.
En d'autres termes, une fois la rotation de transition achevée, le monde est "aplati" : il s'agit d'une aire de jeu en 2D créée à partir d'une projection de l'univers 3D du jeu sur le plan de la télévision ; l'illusion d'optique ("je peux sauter de cette plateforme-ci à cette plateforme-là car elles ont l'air d'être dans le même plan, nous sommes en 2D et il n'y a pas de profondeur") est traitée comme la réalité quelle que soit l'architecture 3D concrète de la zone.
Le potentiel de mécaniques ludiques, de dépaysement et d'effet de surprise d'un tel concept est bien entendu gigantesque.

Tellement gigantesque, qu'en cinq ans ce potentiel aura été surexploité par la concurrence...