lundi 17 juin 2013

Force de Défense Terrestre 2017 (Xbox 360) Sandlot


Les joueurs en général (et les critiques en particulier) devraient à mon avis davantage essayer de se mettre à la place des concepteurs de jeux vidéo ; la démarche apporte un éclairage précieux sur le format, sur son processus créatif et sur ses contraintes.

Les interviews de la série "Iwata demande", où le président de Nintendo interroge des équipes de développement sur leur travail, sont dans cette optique particulièrement passionnantes.
Un des renseignements qui m'a le plus marqué concerne la création de Mario, un des héros les plus connus et les plus lucratifs du monde vidéoludique ; on y apprend de Miyamoto lui-même que Mario (sa moustache, sa casquette, son métier) est tout entier issu de contraintes liées au pixel art : le sprite de Mario devait faire seize malheureux pixels de côté, et Miyamoto, qui désirait dessiner un personnage humain détaillé, avait donc utilisé une moustache pour économiser les pixels de la bouche, une casquette pour économiser les pixels des cheveux, et l'avait affublé d'une salopette, et donc d'un métier assorti comme charpentier ou plombier, uniquement pour que ses bras soient bien visibles en étant d'une couleur différente de celle du corps.

Pendant longtemps, le jeu vidéo a ainsi eu affaire aux contraintes techniques, pour le meilleur (des classiques et des genres entiers sont nés du jeu des contraintes) et pour le pire (des ambitions ont dû être revues à la baisse voire ont été abandonnées). Ce combat contre les limites des machines a même été un aspect majeur du jeu vidéo jusqu'à la génération qui touche maintenant à sa fin, celle de la Xbox 360/PS3/Wii, génération qui à mon sens est une charnière plus importante que celle qui aura apporté la 3D (Saturn/PlayStation/Nintendo 64).


Je me souviens très bien du contexte des E3 (le salon du jeu vidéo) de 2005 et 2006 : du côté de la Xbox 360 et de la PS3, l'idée chez les développeurs et les journalistes comme chez les joueurs était que l'on allait enfin pouvoir tout faire, s'affranchir une bonne fois pour toutes des contraintes et donc bénéficier d'une immense variété ; et du côté de la Wii, on argumentait que ces progrès n'étaient somme toute pas nécessaires, que l'on avait déjà atteint un niveau technique satisfaisant, et que seule l'évolution des concepts et des contrôles pouvait encore faire avancer le jeu vidéo.

Aujourd'hui, en 2013, à l'heure du bilan de la génération, force est de constater que celui-ci est mitigé d'un côté comme de l'autre.

La Wiimote a beau avoir accru le potentiel de certains genres (le jeu à la "Marble Madness" avec "Kororinpa") et l'ergonomie de certains jeux ("Resident Evil 4", "Metroid Prime Echoes"), et permis à quelques trop rares occasions un gameplay nouveau sur console de salon ("Trauma Center"), dans l'ensemble elle aura été davantage un instrument de marketing et de retour aux sources (jeux au gameplay en 2D ou joués "NES style") qu'un facteur de progrès véritable, et la Wii en général aura très vite souffert de ses importantes limites techniques.
Et la Xbox 360 et la PS3, même si l'une et l'autre disposent d'une ludothèque très diverse si l'on inclut les jeux en téléchargement, auront bien vite démenti l'idée de "qui peut le plus peut le moins", que ces consoles allaient être inclusives. Au final, peu de jeux auront réellement exploité leur puissance pour faire émerger de nouvelles expériences ludiques, et surtout, le type, le ton, et plus particulièrement l'esthétique des jeux qui y sont sortis au format "boîte" n'auront pas montré une plus grande diversité qu'à l'époque où le jeu de plateformes avec mascotte régnait en maître.

Pourquoi ?

C'est une vraie question : pourquoi du temps de mon Amstrad CPC, qui avait des capacités de calcul plus modestes que certains frigos de nos jours (sans parler des téléphones), n'y avait-il pas moins d'originalité que dans les sorties "en boîte" sur Xbox 360 et PS3 alors que la différence de potentiel est ahurissante ? Pourquoi même des genres très populaires de la génération précédente ont vite disparu ou se sont retrouvés relégués au ghetto du jeu en téléchargement, où ils ne peuvent pas se développer pleinement compte tenu des contraintes du format ? Pourquoi, alors que l'on croyait pouvoir "tout faire", a-t-on vu une telle abondance de FPS et TPS (first person shooter et third person shooter, jeux de tir à la première ou la troisième personne) situés dans des contextes apocalyptiques, et baignant dans une ambiance violente et sombre et des tons gris ou marron ? Où sont les OVNI ?


Bref : pourquoi n'a-t-on pas vu plus souvent sur consoles dites "HD" des choses merveilleuses comme "Deadly Premonition" ou son équivalent TPS, "Force de Défense Terrestre 2017" ?

La réponse est que nous sommes en réalité toujours à l'époque où l'on donnait une moustache à Mario parce que l'on n'avait pas la place de lui dessiner une bouche ; simplement, les contraintes se sont déplacées du champ technique au champ commercial, publicitaire, budgétaire, artistique et conceptuel même du jeu vidéo. Un jeu comme "Force de Défense Terrestre 2017" le prouve brillamment par l'absurde.