lundi 12 janvier 2015

La série des "Bit. Trip" (Wii, Steam) Gaijin Games

Je suis convaincu que la génération de la Xbox 360, la PS3 et la Wii est historiquement bien plus importante et significative pour le jeu vidéo que celle qui nous aura apporté le jeu en 3D (Saturn, PlayStation, Nintendo 64).

Quel était l'état d'esprit au début de cette génération, amorcée avec la Xbox 360 en 2005 ? Toute l'attention se portait alors sur le réalisme : enfin, pensait-on, on allait s'émanciper des contraintes techniques et jouer avec des jeux qui ressemblaient à des films ! Plus que jamais, la 2D, les gros pixels, le gameplay arcade, etc. semblaient être une chose du passé, toute juste bonne à offrir une petite distraction gratuite sur un smartphone ou un navigateur Internet. Les amateurs de jeu vidéo à l'ancienne étaient inquiets : "Symphony of the Night" sur PlayStation allait-il rester le pinnacle du jeu vidéo en 2D ? L'avenir vidéoludique allait-il se résumer à des FPS marron/gris narratifs et photoréalistes ?

Dans un étonnant coup du sort, c'est l'inverse qui s'est produit : autour de l'année 2010, une incroyable révolution survint, l'irruption de la vente de jeux par téléchargement a soudain offert un créneau commercial à des jeux très old school, et à des développeurs indépendants désireux de revenir aux sources du jeu vidéo afin d'explorer de nouvelles directions transgressives... la modernité, à savoir ici le format dématérialisé, accouchait donc finalement d'une redécouverte des fondamentaux !


On pourrait comparer le phénomène à la peinture : pendant longtemps, le réalisme a été un critère majeur dans l'appréciation d'un tableau, mais à partir de l'invention de la photographie, à quoi bon chercher à réaliser une peinture la plus proche possible de la réalité, alors que l'appareil photo fait instantanément la même chose ? Délivrée de la course au réalisme, la peinture a alors pu explorer d'autres voies ; et de la même manière, une fois assouvi leur vieux fantasme de jeu "mature" réaliste, les joueurs et les concepteurs ont eu envie d'autre chose, rompant d'avec la logique de "progrès" qui animait jusque-là le jeu vidéo.

D'où "Minecraft", "Super Meat Boy", le retour du jeu en 2D, la glorification des jeux indépendants, et cet E3 2010 que je considère comme historique où Nintendo, qui pourtant continuait de faire ce qu'ils ont toujours fait et qui auparavant les vouait aux gémonies, s'est soudain vu acclamé de toute part, remportant notamment le prix des meilleurs graphismes du salon (!) d'après GameTrailers (pourtant peu rebelle) pour "Kirby's Epic Yarn" (Wii), devant "Crysis 2", "Killzone 3" et "Gears of War 3" !
On aurait pourtant pu argumenter que "Kirby's Epic Yarn" s'était contenté de perpétuer les visuels créés par "Yoshi's Island" et "Yoshi's Story" plus de dix ans auparavant, mais la motivation de GameTrailers était limpide, expliquant clairement le retour de Nintendo dans les bonnes grâces : "quand on regarde les autres jeux", disaient-ils, "on a du mal à les différencier".

En l'espace d'une génération, ce qui avait toujours été un rêve inatteignable nous a lassé par son omniprésence, ce qui, conjugué avec l'opportunité de la vente dématérialisée, a laissé le champ libre à des expériences nostalgiques, épurées, novatrices, voire, comme la série précurseur des "Bit. Trip" de Gaijin Games (rebaptisé récemment "Choice Provisions"), tout cela à la fois.